Les DRM pour les nuls


Que sont les DRM ? La plupart des intéressés de l’édition numérique (ou du numérique en général) connaissent bien nos amis DRM, mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Voici donc une petite classe de rattrapage qui risque de gravement ennuyer les pros du numérique mais qui, je l’espère, assouvira la soif de connaissances des autres.

DRM signifie Digital Rights Management. En français, on parle de Gestion des Droits Numériques (GDN) mais la plupart des Français préfère l’appellation anglaise de DRM. Comme leur nom ne le suggère pas forcément, les DRM sont des protections implantées sur des supports (CD, DVD,…) ou directement sur des fichiers numériques afin de contrôler leur utilisation, et souvent de limiter leur diffusion. Si cet article s’attardera en particulier sur les DRM du livre numérique, il existe des DRM sur tout support ou format numérique : films, musique, jeux vidéos, etc.

Les DRM peuvent être de différents types. Il peut s’agir de limitations sur la diffusion de l’œuvre numérique (interdiction de transfert vers plusieurs appareils externes), sur l’utilisation de cette œuvre (obligation de passer par une plate-forme ou un service spécifique), de zonage (restriction à une zone géographique), de protections anti-copies, etc. Ces protections, si elles tendent à lutter contre le piratage, peuvent avoir des portées plus simplement économiques (même si les éditeurs refuseront souvent de l’avouer). Certains jeux vidéo sortent aujourd’hui avec une protection de zonage. Il ne s’agit pas ici de limiter le piratage, mais de freiner l’import des jeux achetés légalement depuis l’Angleterre, où ils sont une dizaine d’euros moins chers qu’en France, dès leur sortie.

En édition, les DRM visent essentiellement à restreindre la diffusion des livres numériques. Il s’agit généralement de limiter l’utilisation d’un fichier à un support bien précis, grâce à une plateforme. Un livre acheté sur Kindle Store ne pourra être lu que sur Kindle, un livre acheté sur l’App Store d’Apple ne sera lu que sur un iPad ou un iPhone. Le DRM pourra également limiter le nombre de transferts du fichier, et éviter qu’il soit envoyé vers des liseuses/tablettes différentes. Ce type de DRM reste très contraignant car il limite l’utilisation de la bibliothèque dans le temps. Electronique et « high-tech », le matériel de lecture numérique est amené à changer et à être renouvelé dans le temps (qui téléphone encore avec un Nokia 3310 en 2011 ? On imagine bien qu’en 2020, les liseuses actuelles seront complètement dépassées). Si une protection empêche le transfert de l’ancienne bibliothèque vers une nouvelle liseuse, les fichiers numériques d’un lecteur seront perdus à chaque fois qu’il décidera d’acheter une nouvelle liseuse. Cela revient à être contraint de brûler toute sa collection de livre quand on décide d’aller acheter une nouvelle bibliothèque chez Ikéa !

Pour protéger le copyright de manière moins handicapante pour le lecteur, les éditeurs peuvent faire le choix du tatouage numérique. Il ne s’agit pas ici de limiter la diffusion de l’eBook, mais simplement de le marquer discrètement. Si cette protection ne nuit pas à liberté du lecteur, et est nettement plus respectueuse, elle reste tout de même assez vicieuse. Quand les DRM indiquent clairement au lecteur ses limites d’utilisation du fichier, le tatouage est une menace plus subtile. Si jamais un eBook tatoué finit sur les réseaux de Peer to peer, l’acheteur de ce fichier, identifié par le tatouage, pourra encourir des peines. Dans ce contexte, tout lecteur peut devenir paranoïaque, et craindre de prêter ses eBooks, même à un ami, par crainte qu’il ne le diffuse illégalement. Vous auriez imaginé, il y a dix ans, finir en prison pour avoir prêté votre exemplaire de Du côté de chez Swann à votre meilleur pote ?

Pour conclure cet article qui se voulait davantage explicatif que critique, nous pouvons faire un bref prélude sur les problèmes posés par les DRM, qui seront certainement expliqués en détail plus tard sur ce blog (et le sont déjà ailleurs !). Premier souci réel et purement pratique, les DRM amputent une partie des libertés du consommateur. Elles empêchent souvent au lecteur de disposer de son bien (le fichier qu’il a pourtant acheté) comme il l’entend. Comprenons donc que si le consommateur est incapable de faire un usage illégal de son livre numérique, il est également incapable de faire de nombreux usages pourtant totalement légaux, ne serait-ce que transférer son livre sur plusieurs supports qui lui appartiennent. Cela donne au consommateur l’impression d’un manque de respect et de confiance total, alors qu’il s’est pourtant procuré son fichier légalement. Cet article, écrit par un auteur- mais surtout lecteur dans ce cas- victime presque malgré lui des DRM, retrace assez bien la frustration qu’engendre ces protections

En découle un second problème qui risque de tuer le marché numérique à long terme : les fichiers piratés ne sont naturellement pas soumis à de si sévères protections. Le paradoxe veut donc que le pirate (qui rappelons le n’a pas acheté son livre numérique, mais l’a «honteusement volé» comme diraient certains) ait plus de liberté que l’honnête consommateur. A terme, cela dirigera les lecteurs au départ enclins à payer vers le piratage, par simple logique !

Pour finir, si on décide de penser à long terme et de considérer le problème de manière plus morale, les DRM tendent à pister le consommateur, à le surveiller, à le contraindre à une utilisation type de son produit, à le guider… Chaque produit acheté serait une caméra de plus braquée sur le consommateur, un verrou de plus à ses chaînes. Sans vouloir paraître prophétique ni scander une fois de plus le nom déjà usé de Big Brother, il y a fort à parier que le consommateur qui se sentira fliqué par son produit préférera à terme abandonner l’offre légale.

Mes sources pour écrire cet article ont été les suivantes, je vous invite à les consulter si vous voulez en savoir plus :

PS : Ce que j’aime beaucoup avec le titre de cet article, c’est qu’un peu de ponctuation peut lui donner tout son sens : « Les DRM ? Pour les nuls ! »

 

13 réflexions sur “Les DRM pour les nuls

  1. Juste parce que je déteste le contrôle de ce que je désire faire avec mes eBooks, les DRM sont par défaut expulser des mes ePubs acheté. Et si j’ai le choix entre un livre DRMfree et un avec DRM, il n’y a pas photo, je boycotte au maximum les éditeurs utilisant des DRMs.

    En ce qui concerne le marquage, j’ai eu l’expérience de voir mon nom sur TOUTES les pages du livres, cela m’a perturbé tout au long de ma lecture lol

    Les DRMs sont un frein à la consommation, mais pas au piratage, donc totalement inutile et grevant le prix final, à bannir à jamais.
    Ces éditeurs n’apprendront jamais rien des erreurs passées!!!

    • J’ai eu l’expérience aussi du tatouage (pas mon nom, mais un code… j’étais résumée à un code numérique, c’est encore plus impersonnel :/ ) pour un bouquin acheté sur une librairie numérique.
      Bouquin qui est fourni par l’éditeur (Numériklivres) sans aucun DRM, ni social, ni autre… (la prochaine fois, je me passerai du libraire j’irai directement sur le site de l’éditeur, ça m’apprendra à vouloir encourager le « petit commerce » !)
      Bref, je n’ai pas tenu 3 pages !

      J’ai joué les pirates (bouh !) pour lire un livre que j’avais acheté : le DRM social a sauté, car impossible de lire sans. Ce n’est pas pour autant que j’ai envoyé le livre à mon carnet d’adresses !
      Les pirates ne sont pas arrêtés par les DRM, puisqu’il est facile de les ôter pour qui s’intéressent à la question… Mais les éditeurs (et libraires ?) pensent que si les gens ont le choix entre payer et l’avoir gratuitement, les lecteurs choisiront le gratuit. Donc il faut absolument empêcher n’importe qui de diffuser le livre gratuitement…
      Ce n’est pas vrai, mais c’est un autre débat (qui viendra j’en suis sûre 😉 )

      • Merci pour ton commentaire ! 🙂 Comme tu le dis, c’est un autre débat ! Il y a des milliers de choses à dire à propos -ou plutôt contre- des DRM et je suis totalement d’accord avec toi pour dire que l’absence de protection ne poussera pas les gens à devenir pirates !

        D’ailleurs, à ce propos, des études commandées par les majors (qu’elles refusent d’ailleurs de publier) ont déjà montré que les pirates étaient de meilleurs consommateurs numériques que les autres ! Qui dit nouveau mode de diffusion, dit nouveau mode de consommation, et les grands éditeurs refusent de lâcher un modèle qui était jusque là très prolifique pour eux !

        Au sujet des tatouages, on peut dire qu’ils sont une version adoucie des DRM dans un sens. Certains sont pour car ils ne gènent pas forcément la lecture (ce que contredit ton commentaire !). Pour ma part, sans être résolument contre, je les trouve vicieux car il est possible qu’un fichier acheté tombe sur le Peer to peer sans que l’acheteur n’y soit pour rien (mauvaise sécurité de sa boite mail par exemple).

        Et vu ce que les pirates « pris la main dans le sac » doivent payer en amendes (une major américaine demandait récemment 1,5 millions de dollars à une mère de famille pour le piratage de 24 titres MP3 ! Et on parle encore de « sauvegarde de la culture » ! 😦 ) je trouve qu’il serait dommage qu’un acheteur honnête soit amené à payer de telles sommes !

        Bref, on retournera sur ce débat plus tard ! Merci de ton intervention ! 😉

  2. J’aurai dû préciser dans l’article : « Les DRM sont d’ailleurs en grande partie la cause de la colère du célèbre lecteur en colère » ! 🙂

  3. Pingback: Les DRM pour les nuls | Bibliothèque, rhubarbe et gougnafier | Scoop.it

  4. Bien d’accord avec toi sur le principe, et sur la ponctuation à utiliser sur le titre.

    Comme tu l’exprime bien, les DRMs sont surtout poussés par les éditeurs, terrifiés qu’ils sont par la disparition de leur monopole sur la reproduction/distribution des livres.

    Bien sûr Adobe en profite et pousse à la roue en tant que « vendeur » de DRM.

  5. Explication très intéressante ! On comprend tout de suite mieux les enjeux et les problèmes quand on fait les comparaisons avec le livre papier / les bibliothèques 😉 !

  6. Pingback: Les éditeurs et le prix du numérique « lesoufflenumerique

  7. Merci pour votre article qui fait le point de façon très claire sur le sujet. J’ai été amusée par votre question teintée d’ironie : « qui téléphone encore avec un Nokia 3310 en 2011 » car c’est mon cas ! Je ne pensais pas être à ce point dépassée avec mon téléphone portable.

    • Aïe, je vais être à l’origine d’un accident diplomatique alors ! 😉 Si ça peut vous rassurer, j’ai un Nokia « je-sais-pas-trop-quoi » slide, loin d’être un smartphone ! Mais il a quand même le mérite d’avoir un écran couleur et un appareil photo ! :-p

      Mais ne changez surtout pas de mobile, la mode est au vintage dernièrement, et vous pourrez bientôt rire au nez de tout ceux qui brandissent fièrement leur « iPhone 13 » en leur disant que vous avez des années d’avance sur eux !

      Merci pour votre commentaire !

  8. Une petite anecdote pour la route « contre » les DRMs : j’ai des soucis matériels avec ma liseuse, qui rend inutilisable une bande de 2 cm en bas à gauche de l’écran. Je peux très facilement changer le feuille de style de mes livres pour augmenter la marge « au delà » de cette zone, et du coup continuer de lire numérique.
    Ca serait bien impossible avec des fichiers bardés de DRMs

  9. Pingback: 1.4 DRM (Digital Rights Management) « Les livres électroniques

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